Monsieur Eugène ROBIN.

Un enfant du pays dans les tranchées en 1915, la dernière lettre de Monsieur Eugène ROBIN à sa femme. Son corps étant bien identifié, ses objets personnels, dont la lettre du 23 septembre qu’il n’a pas eu le temps d’envoyer, sont remis à sa famille par le brancardier RUCHAUD.

Intégral de la lettre de Monsieur ROBIN

Vidéo et lecture de la lettre de Monsieur Robin

le 23 septembre 1915. [ écrit] moi tous les jours si tu peux et dis-moi si tu as reçu ma lettre ma chère petite femme chérie. Je rends réponse à ta lettre qui m’a fait bien plaisir de recevoir. Ma chère petite femme il faut pas que ça t’inquiète si tu est quelques jours sans recevoir de lettre car je crois bien que nous allons pas avoir le temps d’écrire ces quelques jours. Ma chère petite femme chérie nous attaquons sur tout le front, c’est une boucherie sans pareil,

Eugène ROBIN 1887-1915 tué le 25 septembre 1915 à Ville sur Tourbe (Marne) Eugène Aimé Henri Clément ROBIN est né le 27 juillet 1887 à la Gaubergère de Venansault. Il est le dernier d’une famille de 5 enfants. Ses parents, Jean-François ROBIN et Clarisse Angèle Marie ROBIN, sont métayers à Venansault puis journaliers au Salboeuf de Landeronde et enfin à St Georges de Pointindoux.

Au conseil de révision en 1907, Eugène ROBIN est domestique à Grosbreuil, son niveau d’instruction est 2 (sait lire et écrire). Un an plus tard, en septembre 1908, il est domestique à la Chapelle Achard, où il épouse Mélanie Augustine Victoria BROCHARD, couturière. Ils s’installent dans le bourg de la Chapelle-Achard et ont 4 enfants : René naît en 1909, Victor en 1911, Armand en 1912 et Marthe en 1915.

Un mois après son mariage, en octobre 1908, il est incorporé dans un service auxiliaire à la 5ème compagnie de cavaliers de remonte☻, mais est réformé 15 jours plus tard, suite à une ancienne fracture du péroné droit mal consolidée. Reconnu bon pour le service armé en 1914, il est incorporé en février 1915 au 93ème RI ☻☻ de la Roche sur Yon pour son instruction militaire.

☻Les compagnies de cavaliers de remonte sélectionnent, achètent et dressent les chevaux nécessaires aux besoins de l’armée (principalement la cavalerie). La 5ème compagnie de cavaliers de remonte de Saumur est supprimée le 1er octobre 1914.

☻☻Un régiment d’infanterie (en abrégé RI) est une unité combattante composée d’une centaine d’officiers et d’environ 3000 hommes de troupe et sous-officiers. Le RI est dirigé par un colonel et comprend généralement 3 bataillons de chacun 1000 soldats armés. Le bataillon, dirigé par un commandant, regroupe 4 compagnies, chacune d’environ 300 soldats armés avec leur encadrement, le bataillon gère ses munitions. La compagnie, dirigée par un capitaine, regroupe 4 sections d’environ 65 soldats armés, dirigées chacune par un chef de section. La compagnie est autonome pour la solde, la nourriture et l’habillement, elle est organisée en conséquence.

En qualité de père de 4 enfants, il doit être en principe affecté au 83ème RIT (régiment d’infanterie territoriale ☻ en avril 1915, mais dans les faits, il reste au 293ème RI, le régiment de réserve du 93ème RI. Il part sur le front de Champagne ou le 293ème RI est en position à l’est de Ville sur Tourbe dans la Marne.

☻L’infanterie territoriale regroupe les soldats de 34 à 39 ans qui ont terminé le délai obligatoire de 10 ans de réserve active dans leur ancienne unité. Elle comprend également certains cas individuels, eu égard à leur situation familiale comme Eugène ROBIN. Les territoriaux, nommés vétérans et surnommés « les pépères », doivent assurer en temps de guerre la garde des ponts, des routes et participer si besoin aux travaux d’aménagement d’un site (tranchées, merlon, ) sans avoir à combattre en 1ère ligne. Les soldats de la territoriale ont la même tenue que ceux de l’armée d’active (sauf les N° d’unité sur le col qui sont blancs). Leur armement individuel est plus ancien et provient des réserves. Après le combat de Tournai le 24 août 1914 (4), les RIT sont engagés en 1ère ligne jusqu’en octobre 1914 puis dissous et répartis dans les régiments d’active jusqu’en 1915. Le combat de Tournai au cours duquel deux bataillons des 83ème RIT (la Roche sur Yon) et 84ème RIT (Fontenay le Comte) ont résisté héroïquement à 1 contre 20 au 2ème corps de cavalerie et un bataillon de chasseurs du général von Marwitz, permettant ainsi la retraite en bon ordre des anglais du BEF (corps expéditionnaire anglais) en grande difficulté à Mons. Ces deux bataillons de RIT en retardant la percée allemande d’une journée, avec des moyens dérisoires ont permis aux état-major de se ressaisir. Le combat de Tournai est « oublié » car il résulte d’une énorme erreur d’appréciation des forces ennemies, mais les belges continuent d’honorer la mémoire des territoriaux vendéens qui se sont sacrifiés et sont enterrés à Tournai et Wannehain (59) ou des monuments honorent leur mémoire. Le prix humain du combat de Tournai est d’environ 1000 morts le 24 août 1914 sur un effectif total de 2000 hommes de la territoriale présents.

Le 23 septembre 1915, il écrit une lettre à sa femme ou il laisse transparaître sa peur, car il sait qu’il va y avoir bientôt une grande offensive ☻ et parle même de boucherie

Son épouse aurait bien aimé avoir une bague en aluminium artisanale ☻☻, faite avec les munitions allemandes, mais ce sera pour plus tard, il a jeté par précaution tout son aluminium. Il se dit que les allemands tuent tous les soldats français trouvés avec de l’aluminium sur eux…

carte de l’offensive de septembre 1915. .

☻La deuxième offensive de Champagne a lieu du 25 septembre au 9 octobre 1915. C’est une opération massive sur 25 km entre Aubérive (sur la rivière Suippe) et Ville sur Tourbe. Son objectif est de rompre le front et de pénétrer fortement dans les lignes allemandes. C’est une hécatombe côté français dont le bilan final est de 28 000 morts, 53 000 prisonniers ou disparus et 98 000 blessés. Le bilan coté allemand est de 14 000 morts, 8000 disparus et 60 000 blessés. La ligne de front ne recule que de 3 à 4 km, on reste loin de l’objectif. Le manque de munitions associé aux énormes pertes humaines a contraint l’état major à stopper cette offensive et à revoir les stratégies, en développant les techniques nouvelles comme la météo, la radio et l’aviation.

☻☻L’artisanat de tranchée, toléré par l’armée française, consiste à permettre aux soldats de fabriquer pendant les périodes de calme, de menus objets (bijoux, briquets, vases et éléments décoratifs) et de les vendre. La matière première est le métal des douilles de munitions en laiton ou cuivre. Les allemands lancent des fusées à enveloppe d’ aluminium, dont le métal fondu récupéré sert à confectionner des bagues. L’armée allemande n’autorisait pas l’artisanat de tranchée pour ses soldats. Une rumeur circulait parmi les poilus disant que si on est fait prisonnier avec de l’aluminium sur soi, on est tué sur le champ par les allemands.

Secteur de l’attaque du 25 septembre 1915en savoir plus sur cette offensive https://fr.wikipediahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Champagne_(1915).

Son corps est transféré par la suite dans la nécropole nationale (7) de St Thomas en Argonne, dans la Marne, sa tombe porte le N° 1215.

Nécropole nationale : le nombre élevé de morts lors des combats, dont beaucoup ne sont pas identifiables, amène l’État à créer dès 1915 des cimetières militaires regroupant les soldats identifiés dans des tombes individuelles et ceux non identifiés dans un ossuaire. Après la guerre, les inhumations dispersées sont peu à peu regroupées dans ces nécropoles nationales, propriétés de l’État, qui en assure l’entretien. La constante d’aménagement est l’égalité rigoureuse de traitement des tombes individuelles, bien alignées en carré avec le drapeau au centre de la nécropole. Il en existe 265 en France pour environ 740 000 corps

Eugène ROBIN est déclaré Mort pour la France , il a 28 ans.

Madame Breton petite fille de Mr Robin
Ordre du régiment numéro 203 du 4 octobre 1915. Croix de guerre avec étoile en bronze. A trouvé une mort glorieuse au cours de l’attaque de la position allemande du projecteur le 25 septembre 1915.

Mort pour la France : cette reconnaissance civile est instituée dès 1916 pour honorer la mémoire des soldats morts en service commandé. Elle est attribuée sur la preuve que la cause du décès résulte directement d’un fait de guerre. Par extension, les maladies contractées sur le front (tuberculose, dysenterie, typhoïde, choléra, grippe espagnole, …) ouvrent généralement à l’attribution de « Mort pour la France » avec parfois certaines exceptions. L’attribution ouvre certains droits , notamment :

être enterré dans un cimetière militaire aux frais de l’État tre inscrit sur le monument aux morts de sa dernière commune (toutefois, les maires ont une grande latitude pour désigner les noms) -la gratuité des droits de mutation liés au décès -une pension pour la veuve de guerre le cas échéant -la reconnaissance aux enfants du titre de «pupille de la Nation»

Son décès est transcrit à la Chapelle-Achard le 25 mai 1916, ses 4 enfants deviennent pupilles de la Nation

« pupille de la Nation » est un statut créé en 1917 pour les orphelins dont le père, la mère ou le soutien de famille a péri au cours de la guerre de 1914, victime militaire ou civile de l’ennemi. Cinq conditions sont exigées : c’est un orphelin dont le père ou le soutien de famille est mort à l’ennemi , c’est un orphelin dont le père, la mère ou le soutien de famille est mort de blessures ou de maladies contractées lors de la guerre, c’est un orphelin dont le père, la mère ou le soutien de famille est mort des suites de violences ou de sévices de l’ennemi. c’est un mineur dont le soutien de famille est atteint d’une invalidité telle qu’elle ne lui permet pas de subvenir correctement à l’éducation de l’enfant dont il est le tuteur l’enfant est lui-même victime de guerre. Ce statut permet aux enfants et jeunes gens qui le reçoivent une protection supplémentaire et particulière, en complément de celle exercée par leurs familles. Elle ne les place nullement sous la responsabilité exclusive de l’État. Les familles et les tuteurs conservent le plein exercice de leurs droits et notamment, le libre choix des moyens d’éducation. Le statut de « pupille de la Nation » ne doit pas être confondu avec celui de « pupille de l’État  ». Les pupilles de la Nation sont essentiellement des enfants qui sont « victimes de la guerre ».

Son nom figure sur le monument aux morts de la Chapelle-Achard et celui de Venansault

Inscription sur le monument aux morts : il est en principe réservé à ceux qui sont « Morts pour la France » portés sur le « livre d’or» remis à chaque commune selon la loi de 1919. Dans la pratique, compte tenu des disparités locales, le maire et son conseil (ou la commission ad hoc) établissent une liste de noms qui est validée par la suite. Il arrive que par défaut de communication entre les municipalités, le défunt soit inscrit sur deux monuments ou bien pas inscrit du tout. Il en est de même pour les inscrits qui ne sont pas reconnus « Morts pour la France » si le conseil donne son aval.

Nos remerciements à Mr Didier MARTINEAU pour le texte, et Mr Antoine BOUDAUD pour la Voix.