Chapitre II

12 juillet – 28 août 1789

Prise de la Bastille, le retour de Necker, l’abolition des privilèges, les droits de l’homme

Versailles dimanche 12 juillet 1789.

Lettre originale 8

Le renvoi de Monsieur Necker fut répandu à Paris à midi, la consternation fut générale, la perte du crédit public devait en être la suite. Ensuite à Paris sur les cinq heures le prince de Lambesc à la tête d’une troupe d’Allemands fait faire feu sur le peuple et les gardes françaises qui s’étaient joint au peuple, sur les cinq heures du soir plusieurs sont tués.

Le prince de Lambesc entre avec sa troupe au jardin des Tuileries, coupa la tête à un vieillard qui se promenait avec une dame.

L’indignation augmente et principalement à cause du camp placé au Champ-de-Mars, et des troupes postées à Saint Denis, à Sèvres, à Versailles, à Vincennes. Paris s’arme, le lundi 13 juillet on comptait 60 mille hommes armés, le mardi 14 juillet environ 200 milles.

(le 14 à 10 h)Le peuple s’empare des Invalides des canons et des fusils.

À quatre heures du soir il somme le gouverneur de la Bastille de rendre cette forteresse, le gouverneur arbore pavillon blanc en signe de paix, fait baisser le pont-levis, laisse entrer environ 60 parisiens sans autre arme que leur épée, [lors]fait lever le pont et de dessus les tours les fait massacrer par le canon et par l’artillerie. La fureur s’empare des parisiens, ils font le siège de la Bastille ;

au bout d’une heure le gouverneur demande à capituler, il est refusé, on le somme de se rendre à discrétion, il refuse, en cinq quarts d’heure la Bastille est emportée d’assaut, une partie de la garnison fut massacrée, le gouverneur fut traîné à la place de Grève où il eut la tête coupée et mise sur une pique. M. de Flesselles eu le même sort il fut saisi avec des lettres qui justifiaient qu’il devait livrer pendant la nuit la Ville de Paris au comte d’Artois, au maréchal de Broglie, et au prince Lambesc qui devaient attaquer Paris dans la nuit, et bombarder cette ville dessus les montagnes de Montmartre et de Ménilmontant.

(en marge) 14 juillet. Dans la même nuit du 14 au 15 (l’assemblée restant toujours séante) on devait entourer notre salle de hussards, et nous devions répondre de la fidélité des parisiens, et qu’ils se rendraient à la première sommation faute de quoi on nous massacrait, le maréchal de Broglie avait d’abord voulu faire pointer 22 pièces de canon contre notre salle et nous ensevelir sous les ruines, les canonniers refusèrent d’obéir. Le roi par nous éclairé sur les dangers de la France, non seulement refusa consentement, mais en fut indigné ! Il chassa les Polignac, le duc de Luxembourg, comte d’Artois. Le jeudi 16 il renvoya Monsieur le Garde des Sceaux et Monsieur de Villedeuil.Le mercredi 22 juillet le peuple de Paris pendit et trancha la tête de M. Foulons et de l’intendant de Paris, porta leurs têtes # (en marge sur des piques et traîna leurs corps dans …………

Versailles le 17 juillet 1789

lettre originale 9

Prend patience ma chère femme, je prends une grande feuille de papier pour t’écrire, elle sera certainement toutes remplie si le temps me le permet, et je ne t’aurais cependant dit qu’une partie que ce que j’aurais à te dire, tu frémiras, mais lis jusqu’à la fin, tu te rassureras. La religion du roi a pu être surprise, mais sa bonté est inaltérable.

Toute la semaine dernière jusqu’à vendredi, l’assemblée jouissait de la plus parfaite sécurité, nous avions parmi nous, délibérant avec nous, la majorité du clergé, et une forte partie, et certainement la plus illustre et la plus instruite de la noblesse ; Chaque jour le parti de l’opposition perdait et augmentait le nombre de votants de l’Assemblée nationale, nous avions tout lieu d’espérer que les préjugés de quelques-uns seraient sacrifiés à l’intérêt général. Un membre de l’assemblée annonça, samedi 11 de ce mois, qu’il se tramait quelque chose d’abominablement sinistre contre tous les bons citoyens de l’Assemblée nationale c’est-à-dire contre plus des quatre cinquièmes des députés, que sa conscience le portait à révéler à l’assemblée ce qu’il savait, en attendant qu’il put se procurer des preuves authentiques pour éclairer la dénonciation qu’il espérait faire. Notre tranquillité, l’harmonie entre tous les ordres était telle, qu’il n’entra dans l’esprit d’aucun de nous que la chose fut possible.

 La séance ayant finie à six heures du soir, un grand nombre de députés partit pour Paris pour y passer le dimanche, Monsieur Gallot et moi fîmes la partie, et nous y arrivâmes à onze heures du soir étant partis à huit heures. C’est dans cet instant que l’on préparait au conseil du roi, tout ce qui fallait pour exciter une guerre civile dans toutes les parties du royaume et dissoudre les États généraux.

 (Samedi 11 juillet)  À 10 heures du soir le roi dit à Monsieur Necker que c’était lui qu’il qui l’avait jeté dans l’abîme où il se trouvait, mais qu’il saurait s’en retirer [mot rayé] sans lui. Monsieur Necker se retira justement surpris d’une telle accusation, et à peine rentré, il reçut une lettre du roi qui lui ordonnait de sortir du royaume. Monsieur Necker eu la prudence de ne parler à personne de cet ordre, et partit aussitôt pour sa campagne mais il y étant arrivé des chevaux de poste vinrent le prendre et le transporter hors de la France # en marge il s’est rendu en Hollande #(Dimanche 12 juillet). À 8 heures du matin on ignorait encore à Versailles sa retraite, à midi on annonça sa disgrâce à Paris, on n’y croyait pas, tant on la jugeait indiscrète dans les circonstances ; je me trouvais au Palais-Royal vers midi et demie j’appris cette nouvelle, je ne la croyais pas même vraisemblable, mais elle me fut certifiée par des personnes instruites. Il serait difficile d’exprimer la consternation qui était peinte sur tous les visages. Un air [silence] morne et silencieux s’était emparé de tous les parisiens, ils ne voyaient que la banqueroute royale, et la perte de leur fortune certaine, (la majeure partie des parisiens ayant tout leur avoir sur le trésor royal.) Mais ce silence était le signe du désespoir. À cinq heures du soir plus de 12 mille bourgeois armés se distribuèrent par bandes, se transportèrent aux différents spectacles, et les firent fermer, comme dans un jour de calamité publique ou de deuil.        J’étais à dîner sur les quatre heures ce soir chez Monsieur Chaillou lors ce que l’on vint m’avertir de me rendre à l’assemblée à Versailles pour y délibérer, plus de 100 députés qui étaient à Paris partirent aussitôt ainsi que moi.         En me rendant aux voitures de la cour j’entendais dans les rues de Paris criée aux armes citoyens, aux armes français, sauvons la France ; on se permettait les propos les plus outrageants contre M. le comte d’Artois, la reine, le Garde des Sceaux, M. de Villedeuil, le prince de Condé, le duc de Luxembourg et que l’on n’accusait hautement d’être les auteurs de tous les maux qui affligeaient la France, et qui avaient fait venir des troupes étrangères pour égorger les Français.

Je crois t’avoir marqué que dans Paris même, au Champ-de-Mars, on avait fait former un camp composé de plusieurs régiments et de pièces de canon. Entre Paris et Versailles on avait établi d’autres troupes en plus grand nombre, à Versailles même outre toute la garde du roi qui est très nombreuse, on avait fait venir plusieurs de régiments de hussards, de dragons, canonniers. A Saint Denis, à Senlis et dans d’autre endroit des environs de Paris, il y avait des troupes, ce qui formait au total près de 40 mille hommes qui entouraient les états de France généraux et libres

Les parisiens ne virent dans ses préparatifs formidables que le dessein prémédité d’attenter à leur liberté et à celle de tous les Français, et aux jours de tous les députés. Lundi avant-midi, ils avaient plus de 80 mille hommes sur pieds armés, plusieurs se transportèrent aux barrières de Paris, les brûlèrent en chassèrent les commis ; toute la journée le tocsin sonna dans toutes les églises de la ville. Ce désordre dut beaucoup son origine et ses progrès à la conduite indiscrète prince de Lambesc qui le dimanche 12 juillet sur la première nouvelle de l’émeute, se transporta avec ses hussards aux Tuileries environ six heures du soir, fit faire feu sur le peuple, coupa lui-même la tête à un vieillard sans armes, qui ainsi que plusieurs autres était venu s’y promener au jardin, donna au coup de sabre à une femme et par sa mauvaise conduite in- disposa tellement les gardes françaises, que les soldats tirèrent sur les hussards et se joignirent aux parisiens ainsi que les gardes Suisses, et se sont enrégimentés dans la garde bourgeoise que les parisiens ont établis. Nous reçûmes le même jour avis des électeurs de Paris, que le peuple se portait à des excès, et que la liberté, la vie et les biens des citoyens étaient menacés ; nous firent une adresse pour supplier l’assemblée nationale d’engager le roi à retirer l’armée campée dans Paris, et dans les environs, dont la présence avait porté les parisiens à prendre les armes. Il nous apprenait aussi la défection des troupes Gardes françaises qui s’étaient rangées du côté du peuple et s’étaient mis à la tête de chaque compagnie de bourgeois armés, enfin après nous avoir représenté la consternation des habitants de Paris, les horreurs de la guerre civile, finissaient par demander une milice bourgeoise au lieu de troupes réglées. L’assemblée envoya une députation au roi pour lui demander l’éloignement des troupes, lui faire le tableau des malheurs que la présence d’une armée avait déjà occasionné et occasionnerait dans Paris, l’établissement d’une milice bourgeoise ; et l’éloignement des ministres qui composaient actuellement son conseil, ( en interligne L’assemblée demandait aussi qu’une partie de ses membres fut autorisée à se rendre à Paris pour y# en marge : ramener la paix et l’ordre et se mettre entre les combattants) et qui ne jouiraient jamais de la confiance de la nation. Le roi refusa tout, même la garde bourgeoise. L’assemblée arrêta le même jour, que les ministres agents civils et militaires de l’autorité sont responsables de toutes entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l’assemblée ! « Que les ministres actuels et les conseils de S. M. (Sa Majesté) sont personnellement responsables des malheurs présents et de ceux qui peuvent suivre. Que la dette publique ayant été mise sous l’honneur et la garde de l’honneur et de la loyauté française nul pouvoir n’a le droit de prononcer l’infame nom de Banqueroute, ni de manquer à la foi publique. L’assemblée interprète de la nation déclare que M. Necker ainsi que les autres ministres qui emportent viennent d’être éloignés emportent avec elle son estime et ses regrets, qu’effrayée des suites funestes que peut entraîner la réponse du roi, elle ne cessera d’insister sur l’éloignement des troupes, et sur l’établissement des gardes bourgeoises. Enfin l’assemblée persiste dans ses arrêtés précédents, et notamment dans ceux des 17. 20 et 23 juin dernier, ordonne que la présente délibération sera remise au roi par son président, et publiée par la voie de l’impression les seuls ministres que le roi avait conservés était le garde des Sceaux, et De Villedeuil, les plus méprisés et les plus légitimement haïs. Le roi leur avait associé le baron de Breteuil, le maréchal de Broglie, De Lavauguyon, de la Porte, et Foulon, qui ne craignirent pas quoi que flétris dans l’opinion publique, à l’exception du maréchal de Broglie qui ne l’était pas encore, de succéder aux ministres disgraciés.Nous reçûmes une autre députation de Paris qui nous annonçait la prise de la Bastille par les parisiens, que Monsieur Delaunai gouverneur de cette prison, après avoir donné des paroles de paix avait fait égorger 30 parisiens qui étaient entrés dans l’enceinte au moyen du pont-levis qu’il avait fait baisser et des paroles de sûreté qu’il leur avait fait donner ; la Bastille fut prise d’assaut dans cinq quarts d’heure,

les femmes s’y portaient et aidaient à monter les assiégeants, toute la garnison fut massacrée, et le marquis Delaunay fut mené en triomphe sur la place de grève où il eut la tête tranchée. Et Paris forma une milice bourgeoise malgré la défense du roi. Nous arrêtâmes que l’assemblée ne se lèverait pas quelle n ‘eut obtenu l’éloignement des soldats armés Le mardi M. Foulon mourut d’apoplexie, nous fîmes dans la journée deux députations au roi qui furent sans effet. L’armée parisienne s’était fortifiée, s’était emparé de l’arsenal, avait pris toutes les armes qui s’y trouvaient, avait également pris les Invalides, enlevés des canons et autres armes, plus de deux cent mille parisiens étaient armés.

Nous apprîmes que les les Lazaristes avaient été surpris par les parisiens ayant chez eux deux mille sacs de blé qui furent portés au marché sur des chariots, un lazariste attaché sur chaque chariot.Le mardi M. Foulon mourut d’apoplexie, nous fîmes dans la journée deux députations au roi qui furent sans effet. L’armée parisienne s’était fortifiée, s’était emparé de l’arsenal, avait pris toutes les armes qui s’y trouvaient, avait également pris les Invalides, enlevés des canons et autres armes, plus de deux cent mille parisiens étaient armés. Nous apprîmes que les les Lazaristes avaient été surpris par les parisiens ayant chez eux deux mille sacs de blé qui furent portés au marché sur des chariots, un lazariste attaché sur chaque chariot.Ont surpris aussi une correspondance entre Monsieur le comte d’Artois et le prévôt des marchands M. de Flesselles ci devant intendant de Bretagne qui s’engageait à livrer les parisiens dans la nuit. M. de Flesselles eut la tête cassée, puis coupée et mise au haut d’une pique. Les malheurs augmentaient, à dix heures et demie du soir, nous fîmes une nouvelle députation au roi, il nous promit de faire retirer à l’instant les troupes campées dans Paris. Mais les autres restaient, nous lui envoyâmes une autre députation à onze heures et demie avec un rapport de toutes les horreurs commises à Paris, il répondit que son cœur était déchiré, mais qu’il ne pouvait rien changer ajouter à ce qu’il avait dit ;

Paris était menacé d’être incendié.Dans la nuit du mardi 14 aux 15, projet de nous faire égorger, Monsieur le maréchal de Broglie ordonne aux canonniers de diriger contre notre salle 22 pièces de canon, il est désobéi. Irrité, il ordonne hussards et gardes du roi de nous entourer, nous devions rester en otage, tandis que l’on bombarderait Paris, et nous massacrer si Paris refusait de se rendre ; mais 200 mille hommes, qui défendent leur liberté ne se rendent pas. Le roi saisit l’indignation lorsqu’on lui dit ce projet connut alors qu’on le trompait, puis qu’on lui proposait indignement de faire égorger l’élite de son peuple.Il résolut de venir seul avec nous sans suite, il arriva dans notre assemblée à dix heures du matin suivi seulement de ses deux frères, sans appoint se plaça dans un fauteuil, fit un discours, exprima sa sensibilité sur les désordres de la capitale, qu’il venait au milieu de nous témoigner sa peine, prendre nos conseils, qu’il venait se confier à nous, et avait ordonné à toutes les troupes autour de Paris et de Versailles de s’éloigner…….. on ne peut exprimer la sensation que nous éprouvâmes tous, elle fut telle que M. Blanc député de Besançon, suffoqué par la joie, mourut dans la place. Le roi sans garde retourna à pied au château, toute l’assemblée l’accompagna au milieu des applaudissements et des cris de joie. J’avais passé deux nuits j’oubliais la fatigue et je fus des 150 qui allèrent (la suite écrite dans la marge gauche) à Paris porter cette nouvelle, nous fûmes reçus comme en triomphe, les dames renfermées dans leur maison depuis dimanche, craignant la mort et le feu à chaque instant, nous comblaient de mot rayé bénédictions, voulaient nous baiser les mains, nous jetaient des fleurs sur notre passage, nous disaient qu’ils nous devaient leur vie et leur bien. Non jamais mon âme n’a été plus sensiblement affectée, et il me serait impossible de l’exprimer.

20 juillet 1789.

Lettre originale 10

Tu auras vu avec un plaisir mêlé d’indignation, le récit que je t’ai fait des événements presque incroyables qui se sont passé sous nos yeux. Je t’ai rendu compte du renvoi de M. Necker et des autres ministres, des troubles de Paris, de la conspiration formée contre les députés, de la résolution des parisiens de venger notre mort, de la prise de la Bastille par les parisiens dans moins de cinq quart d’heure, quoique sous Louis XIV cette forteresse eut soutenu le siège 15 jours sans être prise, du massacre de plusieurs parisiens fait par le gouverneur de la Bastille, de la punition de mort qu’il reçut ainsi que toute la garnison de cette citadelle qui fut passée au fil de l’épée ! ;

[ en marge° les parisiens démolissent la Bastille et dans 15 jours il n’y aura que l’emplacement] , de la fin tragique de M. de Flesselles prévôt des marchands ci devant intendant de Bretagne, qui fut exécuté par le peuple sur la place de grève le même jour mardi 14 juillet ; de l’arrivée du roi au milieu de nous, du renvoi de Monsieur le Garde des Sceaux, de M. de Villedeuil et des autres ministres qui avaient succédé aux anciens, du rappel de Monsieur Necker, de l’entrée du roi dans Paris le 17 juillet au milieu de plus de deux cent mille sujets armés révoltés, du triomphe que nous avions eu précédemment le 15. Lorsque nous vinrent apporter des paroles de paix à la capitale, lui annoncer l’éloignement des troupes qui infestaient Paris, et le renvoi des ministres, les risques que nous coururent de notre vie étant assemblés dans la nuit du 14 aux 15. De l’exil de Polignac

et de l’éloignement de Monsieur le comte d’Artois. Je ne pus entrer dans un très long détail relativement à l’entrée du roi dans Paris j’étais pressé et je suis encore, tout ce que je puis ajouter c’est que j’ai eu une frayeur extrême que l’on attentat à la personne du roi au moment qu’il descendait de voiture pour rentrer à l’hôtel de ville à Paris, le peuple se porta en foule à la portière le pressa horriblement, j’étais alors près du roi, je faillis être étouffé, je résistais de toutes les forces que l’on approcha pas du roi qui n’avait d’autres gardes que nous, je saisis avec mes mains plusieurs épées nues, le roi s’aperçut de nos frayeurs il nous dit, ne craignez rien ils ne me feront pas mal , je supportai le roi quelque temps pendant qu’il montait l’escalier très pressé par le peuple. Les poissardes lui donnèrent une cocarde qu’il mit à son chapeau, se montra au peuple après la séance, et partit pour se rendre à Versailles à cinq heures du soir au milieu des applaudissements, il n’arriva qu’à 8 heure pour dîner.

J’ignore quelle sensation le roi à éprouver en entrant à Paris mais je pense qu’il doit être effrayé d’avoir vu plus de 200 mille de ses sujets armés, disciplinés par 3 mille gardes françaises, plusieurs gardes suisses et dragons qui s’étaient réunis aux parisiens pour combattre les ennemis de l’État, et détruire la conspiration la plus horrible. Des armées entières n’auraient pu réduire les parisiens, la présence d’un roi chéri se confiant en eux, paraissant sans gardes au milieu d’eux, les calma, et ramena l’ordre et la tranquillité. La guerre civile est éteinte plusieurs citoyens ont été égorgés, et si elle eût durée deux mois une moitié des Français égorgeait l’autre moitié. Actuellement que l’orage et dissipé, nous apercevons l’aurore d’un beau jour, puisse-t-il n’être troublé par aucun nuage, et être la récompense de notre fermeté et de notre patriotisme !

Je te prie de veiller à la récolte du blé que j’ai donné à moitié, que les gerbes ne soient point confondues, et fait mesurer le soir même le blé pour éviter toute fraude. Donne-moi des nouvelles des ormeaux que j’ai fait planter et élaguer l’an dernier, enjoint à Fallour pour de les élaguer de nouveau, comment est ma luzerne ? Dis-moi si Monsieur Canet ta trouvée une place pour venir me joindre, si tu lui as écrit depuis que tu es à Montigné et ou à Taulé Respects, honnêtetés et compliments à nos habitants de Montigné, mes Demoiselle des melliers, chevalier des Melliers et messieurs et dames Marc, Girard et généralement à toute nos connaissances, j’écrirais incessamment au prieur de Roussai et au curé de la Blouere .Embrasse ma sœur et Mariette, que ne puis-je vous embrasser toutes les trois ! V Donne-moi des nouvelles de ton fils, je lui ai écrit il y a un mois il ne m’a pas répondu.

A Madame Madame Lofficial à Montigné

Non datée

Lettre originale 11

L’assemblée tenait encore à onze heures du soir mercredi lorsque nous arrivâmes de Paris. Le lendemain nous insistâmes sur le renvoi de tous les ministres ; et le rappel de M. Necker. Le roi nous accorda tout ce que nous demandâmes, et à onze heures du soir jeudi nous fit passer une lettre pour M. Necker retiré à Lausanne, que nous lui fîmes parvenir par un courrier extraordinaire avec une lettre écrite au nom de l’assemblée. Le roi nous fit dire qu’ayant appris le désir que les parisiens avaient de le voir qu’il s’y rendrait le lendemain.

300 d’entre nous y allèrent je fus du nombre. Il arriva sans garde que son peuple armé qui formait une haie depuis Sèvres à l’hôtel de ville c’est-à-dire pendant trois lieues. Ce spectacle a dû l’effrayer, mais son cœur a bien joui lors qu’arrivé il reçut les hommages de ce menu peuple ; ses larmes annonçaient l’état de son âme.

Grouzel Locard RÉVOLUTION I. liberté ACTES SUD

Paris fut illuminée le soir même, et il fut ordonné que pour consacrer une aussi belle journée on érigerait une statue équestre à Louis XVI Roi père des Français et roi d’un peuple libre.

Les parisiens démolissent la Bastille avec un acharnement inconcevable enfin tous les ennemis de la nation sont terrassés, le roi est sans ministre, toute la noblesse et le clergé se sont réunis à nous, est liés par le même serment, nous avions lieu de croire que tout ira bien, notre fermeté nous a procuré un bonheur que nous n’osions à peine entrevoir. !Respects, compliments amitiés, à ma sœur, monsieur L’Espinasse,……… , maison des Melliers marcéJ J’ai laissé passer l’heure, ma lettre ne sera pas contresignée, je t’écrirai samedi par Cholet Fais voir à la porte

Porte-toi bien ma bonne amie.

Versailles le 24 juillet 1789

Lettre originale 12

Je t’ai annoncé, ma bonne amie, l’entrée du roi dans Paris, sa réception au milieu de 250 milles parisiens armés, l’enthousiasme des parisiens, et la tranquillité de la capitale qui avait été la suite de la communication et de la confiance du roi avec ses sujets. Cette tranquillité qui met tous les citoyens de Paris en sûreté, n’est cependant pas telle qu’il n’y ait encore quelque désordre. On n’a pas pu parvenir à faire mettre bas les armes au peuple, il désigne soixante-neuf victimes qu’il veut immoler comme étant les auteurs des maux publics :

mercredi dernier ayant appris que Monsieur Foulon n’était pas mort comme le bruit s’en répandaient par ses ordres,( mort que l’on croyait généralement, tous ses domestiques étaient en deuil) les parisiens allèrent le chercher à trois lieues de Paris où il s’était retiré, l’amenèrent à pied à l’hôtel de ville lui ayant mis un petit paquet de foin dans la bouche, le pendirent, lui coupèrent ensuite la tête, la promenèrent sur une pique dans les rues, traînèrent son cadavre nu dans les rues, dans les places publiques on l’accablait après sa mort de malédiction, le peuple de Paris doux et sensible, les femmes mêmes, repaissaient avec satisfaction leurs yeux d’un spectacle aussi horrible, on formait des danses autour du cadavre ;

et lorsque les habitants de Paris eurent joui assez longtemps de la vue de la tête on la porta à plusieurs lieux au-devant de Monsieur Berthier de Sauvigni intendant de Paris, gendre de Monsieur Foulon cet intendant avait été arrêté à Compiègne, lorsqu’il s’éloignait de la capitale, où il savait qu’il n’y avait pas sûreté pour lui ; il eut l’indiscrétion de dire qu’il était l’intendant de Paris, croyant que par là il en imposerait au postillon qui disputait avec lui sur le prix du guide, il ne s’attendait pas que sa proscription et ses exactions qui en étaient la cause étaient connues à 20 lieues de Paris.

Quelles durent être ses idées lorsqu’il vit trois mille parisiens armés venir au-devant de lui ayant pour enseigne au bout d’une pique la tête de son beau-père, qui peut-être n’était pas plus coupable que lui ! Arrivé à Paris il fut conduit à l’hôtel de ville, le maire et M. le ministre de la Fayette, général des troupes parisiennes, mirent tout en usage pour le sauver de la fureur du peuple, vainement ils lui promirent qu’il ne serait point mis en liberté, qu’il serait jugé et puni suivant son crime, cette justice réglée parue trop lente au peuple, il craignit que sa proie lui échappa ; il enfonça les portes de l’hôtel de ville, entraîna avec lui sur la place de grève l’intendant de Paris et le suspendit à une potence de réverbère,, deux fois la corde cassa mais enfin il perdit la vie à neuf heures du soir, la tête fut coupée et mise sur une pique, on lui arracha le cœur……..

Détournons les yeux de scènes aussi horribles, je m’imagine être transporté parmi un peuple de cannibales. Ce n’est pas que je veuille excuser les deux victimes, elles avaient fait tous ce qui était nécessaire pour s’attirer l’indignation publique, mais la nature frémit de pareilles horreurs, suite inévitable de l’anarchie, d’un gouvernement ou l’autorité royale est sans force, et la loi muette ou sans exercice.

La capitale qui donne le ton pour toutes les modes aux autres villes du royaume paraît aussi l’avoir donné à plusieurs villes pour ces scènes tragiques. Chaque jour nous recevons des lettres d’avis et des demandes de secours pour arrêter les troubles. Il en existe à Rouen, à Caen, à Pontoise, à Troyes, à Lyon, à Chevreuse, au Havre, à Saint-Germain en Laye et dans cette dernière ville on égorgea lundi dernier un appelé Sauvage, soupçonné injustement par la populace d’avoir des magasins de blé , ( en interligne un garçon boucher lui coupa la tête),Thomasin autre fermier de ce pays fut arrêté le lendemain par la populace armée de Saint-Germain, on lui préparait le même sort qu’à Sauvage, avertis du danger de ce citoyen, l’assemblée envoya aussitôt 12 de ses membres pour arrêter la fureur des mutins

, Saint-Germain est à quatre lieues de Versailles, il était temps que les envoyés de l’Assemblée nationale y arrivassent, Thomasin allait être massacré et ce ne fut qu’avec beaucoup de peine et de grand danger qu’on parvint à l’arraché des mains du peuple, cette populace acharnée à la même coucher en joue les députés ; mais enfin ils lâchèrent Thomasin sous la promesse qu’on le constituerait prisonnier et qu’on lui ferait faire son procès.

Hier on a arrêté M. de Barentin ancien Garde des Sceaux, et De Villedeuil ci-devant ministre de la maison du Roi, le peuple de Paris est décidé à les massacrer sans forme le procès, un de nous alla hier soir à Paris pour persuader le peuple de la nécessité de constituer prisonnier ces deux victimes pour les faire juger et punir suivant leurs crimes, j’ignore encore quel a été le succès de ses démarches. Nous fîmes hier un arrêté pour engager les citoyens à la paix et au bon ordre, à remettre entre les mains de justice tous les accusés de crimes d’État ou de lèse nation qui sont déjà arrêtés, ou pourraient l’être par la suite ; nous déclarâmes que l’Assemblée nationale formerait un comité pour instruire les procès et les juger. Nous espérons que la promesse de punir les coupables arrêtera les cruautés des parisiens.Je vais à l’assemblée, à mon retour je finirai. La nouvelle de la prise de Messieurs. De Barentin et de Villedeuil ne s’est pas confirmée. Hier nous reçûmes les hommages, assurance de respect, et compliments du parlement, de la chambre des comptes, et de la cour des aides, le premier président de chacune ces compagnies portaient la parole. Le Parlement a profité de la leçon que nous lui avions donné il y a huit jours, il s’était contenté de nous envoyer copie d’un de ses arrêtés, plusieurs voix s’élevèrent pour demander que le premier président vint lui-même chez chercher la réponse, et on exprima vivement combien on était étonné que le Parlement n’eut pas rendu ses devoirs à l’Assemblée nationale, les ducs et pairs, membres du Parlement désavouèrent la conduite de leur compagnie, quelques conseillers députés cherchèrent à l’excuser mais en somme on fit sentir au Parlement combien il était petit devant l’assemblée de la nation qui pouvait le détruire à son gré.

La Grand’chambre des comptes

Nous avons levé la séance après trois heures, nous nous assemblons en bureau à six, et à huit heures nous retournons à l’assemblée, il en sera comme hier, nous n’en sortirons qu’à une heure du matin, mais passé la semaine prochaine nous n’aurons que trois assemblées générales par semaine, nous travaillerons en bureau et nous serons maitres de sortir comme nous voudrons . À Dijon le peuple s’est saisi de tous les nobles, les a enfermés au château, les retient en otage, avec déclaration que s’il était touché à la vie et à la liberté d’aucun de nous, ils les massacreraient aussitôt. Lyon et Bordeaux ont armés chacune 50 mille hommes pour nous défendre ou nous venger, l’arrêté de Lyon envoyée au ministre et à l’assemblée est d’une force terrible, il était accompagné de 34 feuilles de signatures mais nous sommes actuellement parfaitement en sûreté, les parisiens nous gardaient assez, nous avons refusé la garde d’honneur qu’ ils nous ont offert, nous avions déjà refusé celle des gardes du corps. ; Les troupes allemandes commandées par le prince de Lambesc que nos ennemis avaient fait venir à Versailles et dans les environs, sont retirés, et je ne crois pas que le ministère les fasse revenir, d’ailleurs tous les ennemis de la nation sont chassés, mais les parisiens disent hautement qu’ils ne mettront pas les armes bas que les victimes qu’ils désignent ne soit jugées, et remises entre leurs mains, et que la constitution du royaume ne soit arrêtée.

Adieu ma chère femme, n’oublie pas ton meilleur ami, ce sera une grande consolation pour lui dans les travaux et dans ses peines de rester persuadé que tu t’occupes de lui. Il faut que l’amour du bien public et de la patrie ait eu bien de l’empire sur mon âme, pour m’être décidé à venir aux États généraux, et à m’éloigner de toi de nouveau.

Rappelle-moi au souvenir de M. et Madame marc, de Mademoiselle et Chevalier des Melliers, de Monsieur…. Et chez Monsieur Lespinasse. J’embrasse ma sœur, donne-moi des nouvelles de Monsieur Girard prieur de Roussay et de tous nos amis.

En marge gauche

Je voulais écrire au curé de la Blouère mais le temps ne me le permet pas, si tu le vois, dis-lui que je lui écrirai incessamment.

24 juillet 1789

Lettre originale 13

Voilà deux courriers, ma chère femme que je n’ai pas reçue de tes nouvelles, serait-il possible que tu m’oublierais ? Une lettre de toi est une grande consolation pour moi, en la lisant, je m’imagine que tu es auprès moi, et que je converse avec toi. Ne m’afflige pas davantage ma bonne amie et ne laisse jamais passer de courrier sans me donner de tes nouvelles.Je pense que ma sœur t ‘auras remis l’argent du blé qu’elle a vendu ; tu ne ferais peut-être pas mal s’il en reste d’en envoyer 8 à 10 boisseaux à la Châtaigneraie lorsque que Falour s’en ira.Donne-moi des nouvelles du pays, de ton fils lorsque tu l’auras vu. Mes amitiés à Monsieur Girard.

27 juillet 1789

Lettre originale 14

Je t’envoie ma chère femme, deux imprimés, tu les liras si tu le veux. Je sors de l’assemblée, je retourne aux bureaux, nous sommes maintenant occupés des lois constitutives du royaume ; ce travail nous tiendra au moins un mois, à 12 heures de travail par jour.

Les nouvelles que nous recevons de toutes les parties du royaume sont alarmantes, partout ont détruit les châteaux, la fureur du peuple contre les nobles est extrême ; il se venge sans doute trop cruellement des injustices et des mauvais traitements qu’il a reçu. Enfin on croit apercevoir l’aurore de la liberté, et que la qualité d’honnête homme et de bon citoyen sera la seule honorée et vraiment honorable.

La capitale est aussi tranquille qu’elle peut l’être dans son régime actuel, au milieu de 200 mille bourgeois qui gardent toujours leurs armes, tous ceux qui avaient des campagnes et des terres l’ont quittée Ne m’oublie pas auprès de nos anciens compatriotes, embrasse ma sœur, et Mariette, je t’écrirai à Montfaucon par le prochain courrier, est toujours un mois l’adresse, porte-toi bien ma bonne amie.

31 juillet 1789

Lettre originale 15

Tu as dû recevoir, ma bonne amie, deux lettres de moi, qui t auront rassuré sur les malheurs dont nous avons été menacés ! Nous sommes actuellement parfaitement tranquilles, nos ennemis sont chassés, quelques-uns ont perdu la vie et les autres ont sorti du royaume, M. le comte d’Artois sans doute induit en erreur par des traîtres a été obligé de s’expatrier et de se réfugier en Allemagne, le peuple est tellement irrité contre lui qu’il y n’y aurait pas de sûreté pour sa personne s’il paraissait en France. M. Necker arriva enfin ici à onze heures du soir mardi dernier, il vint à notre assemblée mercredi à deux heures, reçu les applaudissements de tous les ordres, qui aujourd’hui n’en font plus qu’un, et ses applaudissements des plénipotentiaires de la France exprimaient les sentiments de toute la nation. Je t’envoie les discours prononcés par lui et par notre président.

Hier il alla à Paris à la sollicitation des parisiens il fut reçu en triomphe, au son de la musique et au milieu de 200 mille hommes armés qui lui firent cortège depuis[par] Versailles jusqu’à Paris. Et le ramenèrent avec la couronne civique à Versailles. Jamais ministre n’a eu autant de gloire, et quel homme mérita plus les hommages d’une nation libre et généreuse que le ministre rappelé pour la seconde fois, c’est le triomphe de la vertu.

Louis XVI à Mr Necker. Versailles le 16 juillet 1789 . Je vous avais écrit Monsieur que dans un temps plus calme je vous donnerais des preuves de mes sentiments, mais cependant le désir que les Etats Généraux et la Ville de Paris témoigne, m’engage a hater le moment de votsre venue. Je vous invite donc a revenir le plus vite possible, reprendre auprès de moi vostre place; vous m’avez parlé en me quettant de vostre attachement, la preuve que je vous demande est la plus grande que vous puissiez me donner dans cette circonstance. »

M.Necker prononça un discours très touchant à l’hôtel de ville à Paris ; il demanda par grâce à genoux que désormais il ne fut plus question de proscription, que le peuple laissa à la justice le soin de punir les criminels suivant les lois du royaume. Que M. de Bezeval officier général qui avait été arrêté à Villa nove qui se rendait en Suisse d’après le passeport du roi fut mis en liberté. ! Ce monsieur Bezeval est accusé de crime d’État et d’avoir conspiré contre la nation avec Monsieur le comte d’Ar…. et les autres ennemis de la France, dans un moment d’enthousiasme l’hôtel de ville s’oublia jusqu’à dire dans son arrêté qu’elle accordait le pardon [jus] à tous les ennemis de l’État ; et ordonna que M. de Bezeval serait mis en liberté. Dépêcha en conséquence un courrier pour le faire relâcher. Cet arrêté a occasionné de vives fermentations dans les différents districts de Paris qui ont failli avoir les suites les plus funestes, à deux heures cette nuit nous avons reçu un courrier extraordinaire, et le motif de cette fermentation était que l’arrêté de la ville de Paris était contraire à notre arrêté du 23 dont je t’envoie un exemplaire. Nous avons pris un nouvel arrêté aujourd’hui qui je pense ramènera le calme. Mais les troubles qui ont agité la capitale en ont fait déserter quinze mille familles qui se sont réfugiées en province. On a désarmé à Paris environ dix mille gens sans aveu qui s’étaient mêlés parmi les bourgeois, on assure qu’ils se sont répandus dans les provinces et les chemins ne sont pas surs, ne t’hasarde pas à venir me joindre que les troubles ne soient totalement dissipés, j’aurais soin de t’en avertir.

Je t’envoie une lettre intéressante de Monsieur le comte de Mirabeau tu verras les dangers que nous avons couru. Ne l’égare pas. Je t’envoie aussi avec plusieurs exemplaires intéressants une feuille du journal de Versailles où tu verras le crime affreux commis à Vesoul par un conseiller de Besançon.

Mercredi dernier, nous avons pris un arrêté qui ôte aux nobles et aux évêques toutes leurs espérances. Nous avons décidé que la simple majorité des suffrages pris en commun et par tête c’est-à-dire une seule voix au-dessus de la moitié des votants à l’assemblée soit qu’elle fût entière, soit qu’elle n’eut qu’une partie des membres pourvus qu’ils fussent deux cent, suffirait pour toutes les décisions qu’elle pourrait prendre. Nous voyons enfin approcher le jour, où les hommes seront égaux, et ne reconnaîtront d’autres distinctions entre eux que celle que procure le mérite et la vertu ; désormais on ne courra plus après la noblesse, puisque l’on ne connaîtra plus de privilèges, et que le franc-fief même sera aboli.

Je comptais écrire au prieur de Roussai, mais nous n’avons sorti de l’assemblée qu’à cinq heures avec bon appétit, et je suis obligé de remettre au prochain courrier fait lui lire les imprimés que je t’envoie et tu lui diras que l’adresse de Monsieur Guyet avocat, est rue de Saint-Thomas du Louvre.

Respects et honnêtetés à toutes nos connaissances, j’embrasse ma sœur et Mariette, et toi ma chère femme avec toutes l’effusion des sentiments que tu me connais. Ton frère m’a écrit que tu avais eu une vive alerte à Montigné et que vous attendiez des brigands qui désolaient et ravageaient tout sur leur passage mais que la ferme résolution des habitants de Montigné leur a fait peur.

Par ta lettre du 15 juillet tu me marque avoir reçu 132 livres 18 sols pour blé et par celle du 21 que Monsieur Dupouet, sans doute Dupouet Bout……. T’a remis aussi pour blé 65 livres 7 sols. Tu peux toucher la moitié du prix de ferme du pré et l’employer à faire faire les contrevents dont tu me parles.

Versailles le 31 juillet 1789

Lettre originales 16

J’ai reçu ma bonne amie, samedi dernier 29 ta lettre du 20 elle m’a tranquillisé sur ta santé ; des promenades contribueront beaucoup à te la fortifier, et j’apprends avec plaisir que tu fais de fréquents voyages.J’espère toujours que nous nous séparerons vers la mi-novembre cependant il est possible que nous passions l’hiver, je ne puis rien assurer à ce sujet. Ce qu’il y a de certain, est que nous ne pouvons finir les travaux que nous avons commencés dans moins de six mois ; et que peut-être nous ne quitterons pas Versailles avant d’avoir terminé. Ainsi ma bonne amie si tu persistes à venir me rejoindre, tu feras bien de profiter de l’occasion de Monsieur de la Morlaye, et de prendre la diligence avec lui à Angers jusqu’à Chartres. Je t’ai marqué ce qu’il en coûtait, et quand t’arrêtant à Chartres vous éviteriez de voyager pendant une nuit entière, ce qui est extrêmement fatiguant. Je ne désire pas moins que toi nous soyons réunis.Si tu viens, je te prie de m’apporter trois des meilleures chemises qui sont à Montigné, si nous passons l’hiver je n’en aurais pas trop. Je crois aussi qu’il y a une ou deux chemises propres, je serai bien aise de les avoir. Si je passe l’hiver ici, j’aurais nécessairement besoin d’un domestique, mon projet est de faire venir Falour, il ne m’en coûtera infiniment moins, malgré la dépense du voyage que d’en prendre un à Versailles qui me coûterait 60 livres par mois, et qui ne me servirait pas si sûrement. Il y a un habit de drap à Montigné et que je lui destine pour le voyage s’il est nécessaire, ainsi il faudrait l’attend, afin que si je le faisais venir à Versailles, il put le mettre sur lui. Pour venir d’Angers à Paris dans le cabriolet, il n’en coûte que 36 livres, ces places sont destinées pour les domestiques. Si tu viens avec M. de la Morlaye Madame des Melliers devrait profiter de la circonstance, mais je t’observe que pour retenir les cinq places qu’il vous faudrait c’est-à-dire trois pour Madame des Melliers et ses enfants, il faut s’y prendre au moins 8 jours auparavant.

Décide-toi plutôt que plus tard, la saison avance et il serait bon de partir[tout] vers le 15 ou le 20 de septembre au plus tard. Je crois que lorsque nous serons réunis nous ferons mieux de faire la dépense de notre table, que de vivre en pension ; au surplus nous aviserons à ce qui sera le plus avantageux. Si tu as apporté des couverts, tu ne les oublieras pas en venant. Tu me dis bien que tu as goûté une grande satisfaction en dînant entre tes deux enfants, mais tu ne me dis pas si ton fils est plus propre, s’il est bien raisonnable : a-t-il eu un prix ? Embrasse-les pour moi j’aurais bien du plaisir à le faire moi-même.

Embrasse ma sœur aussi en mon intention, mes compliments au curé et au vicaire, et au … de Lespinasse. Rappelle-moi au souvenir de tous ceux qui nous intéressent

Versailles 7 août 1789

Lettre originale 17

Je t’ai conseillé ma bonne amie, par ma dernière lettre prendre la diligence à Angers si Madame des Melliers se décidait à partir. Tu me marques que Madame des Melliers doit partir à la mi-août dans une chaise dont elle doit payer 18 livres par jour, et t’offre une place en payant le tiers. Tu ne dois point accepter cette offre 1° par ce qu’elle est injuste, 2° parce qu’elle serait trop coûteuse, et trop lente. Je dis premièrement quelle serait injuste ; parce que Madame des Melliers ayant fait la dépense d’une chaise pour conduire ces enfants à Chartres, il est révoltant qu’elle veuille te faire payer une partie de la dépense de ses enfants. Il paraît qu’elle a quelqu’un à voyager avec elle, et que tous les deux tiers et toi le tiers, c’est-à-dire [que tu] qu’elle veut s’arranger de manière à ce que deux enfants ne payent rien et passent sur les trois, cependant en poste ou en diligence et en toute voiture les enfants payent comme les grandes personnes. Si Madame des Melliers eut en envie de voyager avec toi, elle t’aurait proposé une place, et d’en payer tiers ou ton quart ou le cinq° des frais de poste sans distinction des enfants qui comme je te l’ai dit payent autant que les grandes personnes. 2° une voiture à 18 livres par jour est fort chère et ce ne peut qu’être une voiture avec les chevaux et le conducteur. Or cette manière de voyager est fort lente ; vous ne pourriez faire que 10 à 12 lieues par jour, les dépenses dans les auberges fort chères ; et comme il paraît que Madame des Melliers voudrait partir de Nantes, il vous faudrait huit jours pour venir à Versailles, tandis que par la diligence, il ne faut que trois jours, on est plus commodément et sans inquiétude. Je ne te conseille pas de partir de Nantes, tu éprouverais plus de fatigue et de dépenses, il faut partir d’Angers comme je te l’ai marqué.
J’ai dit que je pensais que Madame des Melliers avait des chevaux avec la voiture puisqu’elle en donnait 18 livres par jour. J’en ai loué souvent, celle que j’ai et que j’avais auparavant m’ont coûté 50 livres pour faire mon voyage, et je les ai gardés trois et quatre mois. Vous auriez d’ailleurs plus de profit de venir en poste, et ce serait l’affaire de deux jours partant d’Angers.

J’ai reçu la lettre de Monsieur Gérard, donne-moi des nouvelles de ton fils.

Versailles le 9 août 1789

Lettre originale 18

Je vais te rendre compte, ma chère femme, très succinctement d’un arrêté le plus important que nous puissions prendre, et qui fut décrété dans la séance de mardi (4 août)dernier qui se prolongea jusqu’à deux heures du matin. Il n’existe plus de privilèges et de distinctions. Tous les hommes participeront également aux charges de l’État, dans quelque classe ou dans quelque rang que la providence les ait placés !

Voici en précis l’arrêté répandra la joie dans tout le royaume.

1° abolition entière du régime féodal et de tous les droits féodaux personnels, et ceux qui tiennent à la mainmorte, et mort taillable soient réels ou personnels, ainsi que les prestations qui les représentent, sans indemnité.

Les autres droits féodaux sont rachetables, et l’Assemblée nationale en réglera le mode et le prix, cependant le paiement de ces droits sera continué jusqu’à l’amortissement.

2° le droit exécutif de fuye et de colombier est supprimé, lorsque des pigeons vaqueront dans les temps prohibés, ils seront réputés gibiers, et chacun pourra les tuer sur son héritage.

3° le droit exécutif de chasse et de garenne ouverte est supprimé, ainsi que les capitaineries, même royale, cependant les chasses et capitaineries nécessaires pour le plaisir personnel [de sa] du roi seront conservés, et chacun sera autorisé à détruire le gibier sur ses possessions comme il avisera.

4° suppression de toutes les justices seigneuriales #, [en marge sans indemnité], et néanmoins les officiers de ces justices continueront à les exercer jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’assemblée à rapprocher les justices royales des justiciables.

5° les rentes foncières rachetables

6° les dîmes en nature ecclésiastiques ou laïques seront converties en redevances pécuniaires.

7° la justice sera gratuite, et la vénalité des offices de judicature supprimée.

8° suppression des droits casuels des curés de campagne, augmentation de portion congrue.

9° privilèges pécuniaires personnels, ou réels, en matière de subsides et impôts, abolis à jamais. Le paiement proportionnel des contributions pour les six derniers mois de l’année courante sera effectué sur tous les citoyens sans distinction.

10° admission de tous les citoyens sans distinction de naissance aux emplois et dignité ecclésiastiques civils et militaires.

12° révision des pensions et grâces, suppression des non méritées et réduction des non proportionnées aux services.

13° médaille frappée pour perpétuer la mémoire de cette journée et le Te Deum sera chanté dans toutes les provinces du royaume.

14° Louis XVI proclamé restaurateur de la liberté française.

Tous ces articles sont décrétés, la forme seule de la rédaction nous occupe, les trois premiers sont discutés, et nous en étions au quatrième article, sans jamais nous permettre de discussions sur le fond, lorsque les ministres du roi sont entrés à l’assemblée parmi ses ministres étaient Messieurs l’archevêque de Bordeaux, Garde des Sceaux, l’archevêque de Vienne ayant la feuille des bénéfices, le prince de Beauveau admis aux conseil intime du Roi, le comte de La Tour du Pin, ministre de la guerre, tous les quatre membres de notre assemblée, nommés mardi dernier par le roi, qui nous annonça de sa main leurs nominations sachant combien ils nous étaient agréables, ils étaient accompagnés de M. Necker, de M. de la Luzerne, de M. de Mont Morin, et de M. de Saint Priest . Monsieur le Garde des Sceaux nous a prononcé un discours par lequel il nous a fait un tableau rapide des malheurs qui affligeaient la France, que les lois étaient sans force et que les provinces révoltées refusaient tout subsides. M. Necker nous mis sous les yeux l’état déplorable des finances, et que sans notre intervention l’État était à sa perte, nous a demandé 30 millions.

Connaissant la situation critique de la France, le vide du trésor, les obstacles à la circulation des deniers publics, nous ne pouvons nous dispenser de voter l’emprunt nécessaire, quoi que la constitution du royaume ne soit pas faite, et que nul cahier nous défendent de voter aucun emprunt avant que la constitution soit arrêtée ; mais nos commettants ne pouvaient prévoir les désordres qui sont survenus, le temps qui s’est écoulé sans que nous eussions pu nous occuper de notre constitution ; et comme le salut de l’État est la plus impérieuse loi, sans manquer à nos engagements, nous pensons que nous pouvons nous obliger personnellement à la sûreté de l’emprunt, sauf à le ratifier au nom de nos provinces après que la constitution sera faite. D’après l’arrêté que nous avons pris la noblesse ne sera plus recherchée, elle ne sera plus autant orgueilleuse, le mérite seul lui procurera des distinctions, de même qu’au reste des citoyens.

Je suis étonné que Montfaucon n’est pas fait une adresse à l’Assemblée nationale, [soit] tant pour la féliciter que pour adhérer à ses [……] arrêtés, Pouzauges qui est moins considérable en a envoyé et la Châtaigneraie. Rappelle-moi au souvenir de Madame des Melliers, du chevalier, de Messieurs et dames macé, Girard, Lespinasse. J’embrasse ma sœur, mes compliments à nos ecclésiastiques et aux prieurs de Roussay Ton sincère et meilleur ami / Lofficial

Il y a eu après la nuit dernière de très grandes fermentations je t’ai écrit dernièrement par Tiffauges

Versailles le 21 août 1789

Lettre originale 19

Je m’imaginais pas, ma chère femme, que tu étais allé à Nantes avec Madame des Melliers ainsi qu’elle me l’avait écrit. Je lui ai répondu que j’irai volontiers vous prendre à Chartres, pourvu que vous m’indiquiez le jour certain que vous arriveriez, et pour cela il faut venir en poste ou
par la diligence, je pourrais même l’accompagner à Tiron, si elle préfère venir jusqu’à Chartres avant Tiron. Je te réitère que si tu ne trouves pas une voiture gratuite qui vienne en poste, et si vous n’êtes pas accompagnées d’un cavalier pour courir la poste, vous ne devez pas
balancer à venir prendre la diligence d’Angers jusqu’à Chartres. Vous économiserez beaucoup, et vous voyagerez plus sûrement. J’ai entré dans une de mes précédentes lettres dans le détail des frais du voyage, tu peux y recourir. L’assemblée a réglé le traitement de tous les députés. Le traitement est fixé pour chaque député sans distinction à 18 livres par jour, et 25 sols par lieues pour les frais de voyage, le dernier objet n’est pas trop fort, mais je trouve que le 18 livres par jour plus que suffisant. Certainement je n’en dépense pas la moitié, ainsi si tu viens me joindre mon traitement nous suffira au moins à tous les deux. Tu n’oublieras pas d’apporter l’argent que je t’ai dit, tu ne me dis pas si les métayers t’ont payé ou si tu les as prévenus, ce qui était nécessaire. J’ai été nommé du comité des affaires de Judicature et de la liquidation des officiers, ce qui me donnera beaucoup d’occupation. Ce comité a pour objet 1° de pourvoir au remboursement des offices de judicature, et au traitement à donner aux juges dans les différentes provinces, parce que désormais ils seront tenus de juger gratuitement.
2 ° au moyen de la suppression des justices seigneuriales l’établissement de nouveaux sièges royaux est nécessaire. 3° Il sera établi des juges de paix dans les principaux bourgs et ville, lesquels seront élus tous les trois ans par les habitants du lieu et connaîtront sans frais et sans aucune procédure de toutes les affaires de peu de conséquence, ils seront même chargés de la police dans le lieu de leur résidence. Donne-moi de tes nouvelles ma chère femme, je t’écris fort à la hâte, nous sommes occupés actuellement de la déclaration des droits de l’homme, sept articles intéressants sont déjà arrêtés, et j’espère que mercredi prochain nous seront à la veille ou à la discussion de la constitution du royaume. Tu me dis que tu as eu 28 boisseaux de blé du champ et que Fonteneau en a prélevé 4 pour la semence, mais je me rappelle qu’il n’avait mis que 4 boisseaux, qu’ainsi je n’en devais que la moitié. Quant à la paille, je sais qu’il est d’usage de la laisser à celui qui fume, mais comme la terre qui a été mis pour le fumage, m’appartenait et quelle avait été prise dans les jardins du pas, il était juste de me laisser toute la paille pour me payer ma terre, et en n’en demandant la moitié c’est bien peu de choses, et Fonteneau ne doit pas hésiter. Les femmes ne portent point a cocarde, mais tous les hommes depuis le roi jusqu’aux manœuvre la porte coquelicaut et bleu foncé. Il n’y a pas de doute que si le blé n’est pas plus cher à la Châtaigneraie qu’à Montigné, il ne faut pas y en envoyer, tu ne me dis pas me dis que le prix qu’il vaut. S’il est cher tu feras bien de le faire vendre, il ne peut que diminuer.
Tu peux vendre les 17 boisseaux mesure de Tiffauges sur la messandière en Boussai, et faire payer le vingtième, dont tu feras demander quittance.

Versailles le 24 août 1789

Lettre originale 20

Je te fais passer, ma chère femme une lettre sans date de Monsieur Canet qui m’a été envoyée de la Châtaigneraie, et que je n’ai reçu que samedi dernier ; je me porte assez bien malgré nos grandes fatigues. Samedi et hier nous avons resté assemblés jusqu’à minuit. Aujourd’hui nous avons levé la séance à quatre heures pour nous rassembler ce soir à six heures. Nous y serons je pense au moins jusqu’à minuit. Nous avons à peine le temps de dîner, nous voudrions satisfaire l’impatience des provinces, et leur donner promptement une constitution. Lorsqu’ elle sera achevée, nos travaux seront moins pénibles. Ton cousin retourne à Cholet. J’ai voulu lui procurer une place de sous-secrétaire, ou d’écrivains dans mon comité, il aurait travaillé sous
mes ordres, au traitement de 50 écus par mois. Embrasse ma sœur et Mariette, et rappelle-moi au souvenir de nos connaissances.
Porte-toi bien ma bonne amie
Lofficial

Madame Madame Lofficial à Montigné


Versailles le 28 août 1789

Lettre originale 21

Il faut, ma chère femme, que tu sois malade, puisque depuis le 10 de ce mois tu ne m’as pas donné de tes nouvelles. Tu ne penses guère à ton ami, ou tu ne crains guère d’affecter sa sensibilité. Si tu es malade pourquoi ne m’avoir pas fait donner de tes nouvelles par une main
étrangère ? Si tu te portes bien d’où vient ce silence ? Le prieur de Roussai m’a écrit le 13. Que tu allasses à Beaupréau, Monsieur Girard m’a écrit le 20 que tu étais à Cholet ; et ton frère m’écrit le même jour, et ne me parle pas de toi de sorte que j’ignore absolument où tu es ; et
je t’écris à tout événement à Montigné sous l’enveloppe de Monsieur Girard. N’oublie [mot rayé] donc plus, ma chère femme ton meilleur ami, donnes-lui toi-même de tes nouvelles, ou lui en fais donner ; tu le feras si tu l’aimes et tu ne le mettras pas dans le cas de te faire des reproches.

Je t’embrasse et t’aime toujours.

                                                        Lofficial

Madame   Madame Lofficial à Montigné

à suivre Chapitre III